Vers un Parlement fédéral plus sensible à la dimension de genre : webinar 8 mars 2021
Vers un Parlement fédéral plus sensible à la dimension de genre : webinar
Plusieurs étapes importantes ont déjà été franchies récemment.
Pour la première fois, les 2 assemblées fédérales sont présidées par une femme en même temps (et pour la première fois, la Chambre est présidée par une femme) ; la moitié des parlements en Belgique sont présidés par une femme ; une femme a été Première ministre pour la première fois ; il y a autant de femmes que d’hommes dans le gouvernement fédéral, etc.
Toutes ces “premières” et ces avancées vers une participation plus équilibrée ne doivent cependant certainement pas nous laisser croire que l’objectif final est atteint, que tout est acquis.
Voici cent ans, une petite partie des femmes pouvaient voter pour la première fois et la première femme parlementaire prêtait serment. Par la suite, diverses lois ont permis progressivement l’égalité des droits politiques des femmes et des hommes. Il subsiste néanmoins des obstacles aujourd’hui.
Quelques exemples :
· La parité parfaite n’est pas encore une réalité dans les parlements. Si les femmes sont aussi nombreuses que les hommes à être éligibles, la Chambre n’est aujourd’hui composée que de 42 % de femmes.
· Dans de nombreuses commissions, les rôles se perpétuent de manière stéréotypée. À la Chambre, la commission de la Défense et de l’Intérieur ne compte que 4 femmes sur 17 membres, celle de l’Intérieur 5 femmes, et celle des Finances seulement 2 ; inversement, davantage de femmes siègent dans les commissions des Affaires sociales et de la Santé, au sein du Comité d’avis pour l’Émancipation sociale ou au Sénat, dans la Commission affaires institutionnelles ou la commission pour le renouveau démocratique.
· …
La Présidente du Sénat et moi-même avons lancé avec nos services un screening transversal de l’ensemble des aspects de la vie parlementaire et du fonctionnement interne de la Chambre et du Sénat : services législatifs, documentation, communications interne et externes, gestion des infrastructures et des ressources humaines, patrimoine, etc.
Sur cette base, il est proposé de lancer une analyse des progrès à réaliser par notre Parlement fédéral dans chacun des cinq domaines suivants :
1. Les femmes et les hommes ont des chances égales d’entrer au parlement et d’y travailler ;
2. Les femmes et les hommes ont des chances égales d’influer sur les procédures de travail du parlement ;
3. Les intérêts et les préoccupations des femmes occupent une place suffisante dans l’agenda du parlement ;
4. Le parlement produit une législation sensible au genre.
5. Le parlement respecte et valorise sa fonction symbolique et d’exemple.
A l’occasion de cette Journée Internationale des Droits des Femmes, nous avons organisé un webinar qui avait justement pour objectif de lancer cette dynamique au sein des deux assemblées fédérales avec les parlementaires et évidemment les femmes et les hommes composant leurs services. Vous pouvez le revoir ici.
La Présidente du Sénat Stephanie D'Hose et moi-même y avons abordé le rôle des femmes dans un Parlement au 21e siècle, et nous avons accueilli en outre Madame Zeina Hilal (Union interparlementaire), Madame Emilie Van Haute (ULB) et Madame Karen Celis (VUB).
En effet, les parlements sont les reflets de nos sociétés, il est donc fondamental qu’ils soient davantage attentifs aux besoins des hommes et des femmes qui les composent. Car l’égalité doit devenir une réalité.
Grâce à ce screening transversal totalement inédit, le parlement d’ici 2030 à l’ambition de devenir, d’ici 2030, l’un des parlements européens les plus sensibles à la dimension du genre dans son fonctionnement interne, son fonctionnement politique et sa communication.
Ce webinar est un pas fondateur pour déployer à l’avenir une démocratie et un parlement moderne plus sensible à la dimension du genre.
Madame Zeina Hilal, de l’Union interparlementaire, responsable du programme pour le partenariat Hommes-Femmes, travaille avec les parlements du monde entier, elle apporte information et soutien dans toutes les actions et politiques qui visent à éliminer les discriminations fondées sur le genre, et surtout à promouvoir l’autonomisation des femmes et des jeunes en politique (empowerement).
Elle a proposé un exposé intitulé « Les parlements sensibles au genre, exemples de bonnes pratiques existantes pour encourager et favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes ». Lors de cet exposé, elle a d’abord rappelé que l’égalité des sexes est dans l’intérêt des hommes comme des femmes, et la responsabilité de défendre cette égalité dans les parlements incombe aux parlements eux-mêmes. Cela ne doit pas être la bataille des femmes seulement, mais ça doit être la bataille des institutions parlementaires en leur qualité d’institutions représentant les intérêts de tous les citoyens.
Elle a ensuite présenté le concept des « parlements sensibles au genre », introduit par l’UIP après avoir mené une étude assez novatrice en 2010, basée sur des pratiques existantes dans divers parlements et visant à favoriser une participation égale des femmes et des hommes.
Ce qu’ils ont constaté, c’est qu’en étant sensibles au genre, les parlements sont plus susceptibles de réaliser l’égalité des sexes dans la société, de devenir des espaces modernes et plus dynamiques, et de s’acquitter de leur mandat démocratique en étant plus légitimes, mais aussi plus efficaces et plus efficients.
Un parlement sensible au genre est un parlement fondé sur l’égalité des sexes, c’est-à-dire que les hommes et les femmes y ont les mêmes droits de participation aux structures et aux processus et ce sans aucune forme de discrimination ni aucune forme de récrimination. C’est donc un parlement qui répond aux attentes et aux intérêts des femmes comme des hommes dans ses structures, dans son fonctionnement et dans ses méthodes de travail et au final dans son action.
Les champs d’action ont été identifiés par les parlements membres de l’UIP eux-mêmes, qui ont adoptés à l’unanimité en 2012 un plan d’action avec 7 champs :
1) Accroître le nombre de femmes au parlement, vers la parité ;
2) Renforcer les législations et les politiques relatives à l’égalité des sexes ;
3) Intégrer l’égalité des sexes dans l’ensemble du travail parlementaire ;
4) Instaurer une infrastructure et une culture parlementaire sensibles au genre ;
5) Veiller à ce que tous les parlementaires, hommes et femmes, partagent la responsabilité de l’égalité des sexes ;
6) Encourager les partis politiques à défendre l’égalité des sexes ;
7) Améliorer la prise en compte du genre et l’égalité des sexes au sein des services et pour le personnel parlementaire également.
Les parlements sensibles au genre sont une stratégie pour en premier lieu favoriser la participation des femmes (soit le nombre des femmes qui siègent ou le nombre de postes de leadership qu’elles occupent au sein des parlements).
Aujourd’hui il y a 25.5% de femmes parlementaires dans le monde, c’est en progrès mais on est encore très loin de l’égalité. 20.29% des présidents de parlement sont des femmes. Cette moyenne mondiale est tirée vers le haut par des taux de femmes présidentes des structures parlementaires dans les Amériques et en Europe. En revanche, sur d’autres continents le leadership des femmes est moindre dans les parlements.
Les femmes occupent aujourd’hui 259 des 934 postes de président des 5 types de commission parlementaire que l’UIP suit : affaires étrangères, défense, finance, droits de l’homme et égalité des sexes. Elles sont donc 27.7% des présidents de ces commissions. Avant 1995, seuls 2 pays (Argentine et Népal) appliquaient des quotas par sexe fixés par la loi pour la participation des femmes au parlement. Aujourd’hui, il y a 81 pays qui appliquent des lois prévoyant des quotas par sexe lors des élections.
Les parlements sensibles au genre sont aussi une stratégie d’intégration de la prise en compte du genre, le « gendre mainstream », via 2 principaux mécanismes institutionnels d’intégration d’une perspective sexo-spécifique au sein des parlements : les commissions pour l’égalité des sexes et les forums des femmes parlementaires.
Aujourd’hui il y a 108 commissions parlementaires pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans le monde. Quant aux forums des femmes parlementaires, formels ou informels, ils sont au nombre de 156 aujourd’hui. Création de réseaux, conduites d’audits, création de conseils et de centres de recherche spécialisés constituent d’autres initiatives.
Les parlements sensibles au genre sont aussi une stratégie pour une culture et une infrastructure parlementaire plus inclusives.
Les parlements sensibles au genre sont aussi une stratégie pour la mise en œuvre d’une tolérance zéro du sexisme, du harcèlement et des violences faites aux femmes. Une étude a été menée pour produite des lignes directrices pour les parlements pour les aider à éliminer le sexisme, le harcèlement et les violences faites aux femmes en leur sein.
Ces lignes directrices ont été publiées en 2019 et elles invitent les parlements à évaluer la situation via un questionnaire, à adopter des politiques spécifiques, à fournir un accès confidentiel à l’assistance aux victimes et à assurer des recours, y compris des mécanismes de plainte et d’enquête ainsi que des sanctions disciplinaires à l’encontre des auteur ; et à sensibiliser et à informer toutes les personnes qui travaillent en leur sein.
Les hommes doivent aussi s’impliquer et assumer leurs responsabilités en matière d’égalité des sexes, plusieurs dirigeants de parlement hommes et beaucoup de parlementaires hommes se sont avérés de précieux alliés pour renforcer l’influence des femmes au parlement et rendre l’institution davantage sensible au genre.
Les partis politiques doivent aussi être sensibles au genre pour qu’ils soient un support important pour qu’au sein des parlements, le travail vers la sensibilité au genre puisse se faire.
Madame Emilie Van Haute, présidente du parlement des sciences politiques de l’ULB, chercheuse au Cevipol, présidente de l’Association belge francophone des sciences politiques, nous a proposé un exposé intitulé « Egalité de genre et diversité : de l’importance du rôle des acteurs »
Les parlements en Belgique et le parlement fédéral ont entamé une évolution vers la parité, spécifiquement depuis 1995 avec l’introduction progressive des quotas sur les listes électorales. Mais cependant cette parité n’est pas tout-à-fait atteinte, et la situation actuelle masque des disparités et des inégalités de genre encore tout-à-fait persistante : les présidences des commissions sont disproportionnellement aux mains des hommes, tout comme les présidences de groupes. On constate également de forts déséquilibres dans la constitution des commissions, surtout en fonction des thèmes reflétant indirectement des stéréotypes de genre assez marqués.
Par ailleurs d’autres disparités se marquent, dans la carrière politique des parlementaires : la moyenne d’âge des femmes parlementaires est inférieure à celle des hommes, dû à un turn over beaucoup plus important des candidates féminines sur les listes électorales et donc aussi parmi les élus. Beaucoup moins de femmes sont têtes de liste. Tout cela atteste d’une manière d’aborder la carrière politique différente entre hommes et femmes.
Comment tendre vers plus d’égalité au sein des parlements ?
Au-delà des règles institutionnelles, ce sont les acteurs qui sont cruciaux dans la manière dont ils se saisissent des institutions et de ce qu’ils en font. Pour un rôle fort des femmes au parlement, il faut qu’elles puissent y accéder sur un pied d’égalité avec les hommes, et dans ce cadre les partis politiques ont un rôle fondamental à jouer pour donner à toutes et à tous des chances égales dans la participation au sein des parlements.
Comment tendre vers une politique de genre au sein des partis ?
Les partis contrôlent le processus électoral, sélectionnent le personnel politique, ils distribuent les mandats. Les inégalités de genre existent dès le début de l’engagement politique. Comment amener une politique de genre au sein des partis ?
- En travaillant sur la question de recrutement : remettre en question la capacité de recrutement des partis, dans les sections locales ;
- Travailler aussi sur les modalités d’affiliation : si elles sont plus variées alors elles attirent une base plus variée en termes de genre ;
- Travailler à la prise de conscience de la question de genre à travers un audit ou une veille annuelle des déséquilibres au sein des organisations partisanes ;
- Institutionnaliser ces objectifs d’égalité de genre dans les statuts, manifestes ou programmes ;
- Définir des stratégies et des mécanismes pour résorber les inégalités, sur 3 niveaux : celui du personnel politique, celui de l’élaboration de propositions politiques, et enfin celui de l’organisation des partis.
Le personnel politique :
· encourager les candidatures de femmes à tout niveau, notamment aux positions les plus élevées ;
· proposer des formations, mentorat aux candidates et aux élues (comment répondre au harcèlement en ligne, travailler sur son image médiatique) ;
· atteindre la parité en interne au sein des différents organes ;
· visibiliser davantage les élues et leurs réalisations ;
· promouvoir les prises de fonction hors stéréotypes de genre ;
· organiser des workshops sur les questions de genre ;
· adopter des règles internes relatives aux discriminations de genre
L’élaboration de propositions politiques :
· analyser l’ensemble des activités qu’ils proposent sous l’angle du genre ;
· former les mandataires et les responsables du parti à l’égalité de genre ;
· prise en compte de la dimension genrée dans l’adoption des programmes des partis et dans les discours des leaders.
Dans l’organisation des partis :
· analyser les processus décisionnels (par ex. les procédures de sélection des candidats) ;
· créer ou renforcer le poids des organisations de femmes ;
· soutenir les réseaux féminins ;
· prévoir des dispositifs d’accueil des familles lors des congrès ou des événements ;
· favoriser la prise de parole équilibrée en interne.
Très peu de pays ont rendu obligatoires par leurs partis politiques ce type d’actions. En Belgique, en l’absence d’un statut spécifique pour les partis politiques, en l’absence d’une législation qui leur est propre, c’est compliqué de voir comment éventuellement les inciter à prendre ces questions du genre et de l’égalité de genre au sérieux.
Une piste serait de lier celles-ci à la question du financement public des partis. Dans une trentaine de pays dans le monde, et cette tendance est en croissance ces dernières années, la question du financement public des partis est liée à la question de la manière dont ils abordent l’égalité de genre en interne.
3 types de financement public peuvent être genrés :
- l’éligibilité : une partie ou la totalité du financement public n’est alloué que si le parti organise des activités de soutien à l’égalité de genre ou à ses candidates/élus
- l’allocation : une partie ou la totalité du financement public n’est alloué qu’aux partis qui atteignent certains objectifs (parité des têtes de listes par exemple)
- le fléchage : une partie du financement public est fléché (consacré dans des politiques d’égalité de genre).
En conclusion, l’objectif du propos était de nuancer la toute-puissance de la règle institutionnelle, ses effets mécaniques automatisés sur l’égalité. Souligner le rôle important et crucial des acteurs et leurs responsabilités dans ce travail vers d’avantage d’égalité. Les partis politiques sont des acteurs centraux des démocraties représentatives et à ce titre ils ont un rôle et une responsabilité à jouer et les parlements peuvent et doivent inciter les partis politiques à être partenaires pour développer ces parlements sensibles au genre.
Madame Karen Celis, du groupe sciences politiques de la VUB, coprésidente du centre d’expertise REA pour la diversité des genres, coordinatrice universitaire pour la politique d’égalité menée par la VUB, a créé l’ « European journal of gender ». Elle présente son ouvrage « Feminist democratic representation » rédigé par elle-même et Sarah Childs.
La question de la représentation des femmes ne se limite pas simplement à la question de l’absence de femmes au sein des parlements, des gouvernements, des conseils municipaux. La question de la femme et de sa représentation est pour nous bien plus large. Nous parlons plutôt d’une représentation insuffisante : les femmes, dans toute une série de démocraties occidentales, ont le sentiment qu’elles ne sont pas suffisamment représentées, qu’il y a là une sorte de pauvreté. Il y a là une différence entre l’agenda politique et les préoccupations des femmes. Il y a une représentation tronquée des femmes par les gouvernements respectifs. La représentation des femmes est souvent une tâche que l’on laisse à une série de représentantes là où ça devrait être une obligation institutionnelle, une responsabilité collective des parlements, des exécutifs de veiller à ce que les droits fondamentaux, notamment l’égalité politique femmes et hommes, soient concrétisés dans la pratique.
Nous avons par exemple constaté qu’il y a finalement fort peu d’incitants institutionnels pour que les représentants politiques mesurent bien l’intérêt des femmes. Ce qui conduit finalement à un fossé entre les femmes et la politique formelle.
La question de la parité en politique : attirer davantage de femmes en politique ne suffit pas. Ce n’est qu’une première étape. Même dans les pays où les femmes sont bien représentées en politique, bien souvent elles sont marginalisées au sein des institutions politiques. Au sein des institutions politiques il y a un plafond de verre : elles n’ont pas accès aux fonctions de pouvoir.
Pourquoi ne pas se satisfaire d’une présence accrue des femmes en politique ? C’est un problème de violence à l’égard des femmes en politique. Ce n’est pas parce que vous avez plus de femmes en politique que plus de femmes vont se sentir représentées. Les femmes ne sont pas un bloc homogène.
Comment répondre à cette représentation insuffisante ?
La parité n’est qu’une première étape. Il faut un agenda politique avec une représentation des femmes prise comme une responsabilité collective, avec des incitants au sein des parlements et gouvernements pour en tenir compte et rendre des comptes à l’égard des citoyennes.
Madame Celis propose une refonte radicale des parlements pour une meilleure représentation des femmes. Le modèle développé dans son livre développe l’émergence d’une nouvelle forme de représentantes, proches des différents groupes de femmes pour mieux comprendre leur réalité. Il est nécessaire à ce propos de dépasser le stade des auditions : il faut ensuite organiser un moment où les représentantes rendent des comptes aux femmes visées par les mesures, ce qui permettra alors de rapprocher le citoyen du monde politique et améliorera radicalement le processus décisionnel politique.
« Feminist democratic representation » est une bonne solution pour améliorer la représentation des femmes, car ce processus génère une inclusion pour toute une série de groupes de femmes qui par le biais de ces représentantes pourraient effectivement être associées à l’action politique. Il pourra y avoir une meilleure réponse du monde politique par rapport aux demandes des femmes et cela table sur une égalité de traitement entre les différents groupes de citoyens. C’est un processus féministe et démocratique, forme de démocratisation de la prise de décision. Les incitants devraient conduire à ce que les femmes se sentent mieux représentées. Pour pouvoir désigner ces représentantes, elles vont se mobiliser, être mieux informées. Il s’agit de renforcer la confiance des citoyennes dans leurs représentantes politiques.