Sommet des Présidentes d'Assemblées à Paris 6 et 7 mars 24
Voici les 2 prises de parole que j'ai prononcées lors du Sommet des Présidentes d'Assemblées qui s'est tenu à Paris ces 6 et 7 mars 2024.
Discours de la Présidente de la Chambre, Eliane Tillieux
Sommet des femmes présidentes
Assemblée nationale, Paris
7 mars 2024
Table ronde dédiée à l’éducation à l’égalité, à la santé et à la lutte contre les violences
Mesdames les Présidentes,
Chères collègues,
Comment débuter cette prise de parole sans prendre un instant pour vous faire part de l’enthousiasme qui est le mien de me retrouver devant une telle assemblée, composée exclusivement de femmes présidentes. Je veux remercier tout particulièrement Mme Yaël Braun-Pivet pour cette initiative, mais aussi pour la proposition de couvrir des sujets si fondamentaux lors de cette table ronde : l’éducation à l’égalité, la santé et la lutte contre les violences à l’égard des femmes.
Partout dans le monde, les femmes subissent des violences parce qu’elles sont des femmes. Pas un jour sans violences physiques, psychologiques, sexuelles ou économiques. Ces violences nous rappellent inlassablement la nécessité du féminisme, de la lutte contre les stéréotypes de genre et la discrimination à l’égard des femmes. Cette lutte passe évidemment par l’éducation à l’égalité.
Je suis certaine que je m’adresse ici à un auditoire bien trop conscient des violences, des plafonds de verre, des discriminations et autres difficultés que rencontrent encore et toujours les femmes tout au long de leur parcours de vie, peu importe leur situation géographique ou leur milieu social.
Notre défi actuel est de poursuivre et d’amplifier notre lutte pour l’égalité et particulièrement pour le maintien des droits acquis, toujours et sans cesse remis en cause.
Cette table ronde est une occasion privilégiée de partager et faire connaître les défis et les solutions mises en place dans vos pays respectifs pour atteindre cet objectif commun : l’égalité entre les êtres humains, entre les femmes et les hommes.
Afin de contribuer à ce partage d’expérience, je voudrais tout d’abord évoquer quelques exemples d’avancées et de défis rencontrés en Belgique sur la question des droits des femmes.
Pour commencer, la création des Centres de prise en charge des violences sexuelles (CPVS) constitue un progrès novateur en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.
En se fondant sur l’article 25 de la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique[1], la Belgique a créé ces centres à partir de 2017.
En pratique, il s’agit de structures regroupant du personnel infirmier, des psychologues et des fonctionnaires de police formés aux violences sexuelles, disponibles 24h/24, 7 jours sur 7 et qui permettent une prise en charge globale et multidisciplinaire des victimes de violences sexuelles.
Ainsi, pour éviter que les victimes ne répètent leur vécu à des intervenants multiples et revivent leur traumatisme plusieurs fois, elles peuvent, en un seul et même lieu, bénéficier d’une prise en charge médicale, effectuer un examen médico-légal, déposer plainte, disposer des soins psychologiques nécessaires ou être orientées vers des services psychosociaux et juridiques appropriés.
La Belgique a ouvert actuellement 1 centre de prise en charge des violences sexuelles par province avec l’objectif qu’une victime sur le territoire belge puisse, moyennant maximum une heure de route, être prise en charge par un CPVS.
La création de ces centres s’inscrit dans un cadre plus large déterminé par le gouvernement belge qui a souhaité prendre à bras le corps la question des violences à l’égard des femmes.
En effet, le code pénal belge a été modifié pour mieux couvrir les violences sexuelles et inclure notamment la notion de consentement dans la définition du viol.
Le parlement belge a également adopté une loi sur les féminicides et prévoit l’établissement régulier de statistiques sur la question, car des réponses adaptées ne pourront être apportées que si l’ampleur du phénomène est connue.
Par ailleurs, une Commission d’enquête parlementaire est en cours à la Chambre sur les abus sexuels commis au sein de l’église catholique.
À côté de ces actions concrètes qui contribuent à lutter contre les violences faites aux femmes, la Belgique a encore du chemin à parcourir dans d’autres domaines. C’est l’occasion pour moi d’aborder un autre thème de cette table ronde : l’éducation.
En matière d’éducation, j’aimerais mettre en lumière ici deux éléments qui illustrent le chemin à parcourir pour atteindre l’égalité, mais aussi la nécessité de lutter contre les stéréotypes de genre et la discrimination.
Tout d’abord, une statistique se confirme depuis plusieurs années : en 2023, en Belgique, 56,5 % des femmes âgées de 25 à 34 ans sont titulaires d’un diplôme d’études supérieures, contre 43 % des hommes[2]. Les jeunes femmes sont donc mieux formées. Néanmoins, cela ne se reflète pas dans le monde du travail où les chiffres s’inversent et où les femmes sont sous-représentées dans les postes dirigeants. Lorsqu’on analyse ces données plus en détail, la sous-représentation des femmes est chronique dans certaines filières, notamment les études scientifiques.
Ce déséquilibre dans la représentation engendre des conséquences directement tangibles sur la réalité de notre société. En l’absence de modèles adéquats, les jeunes filles ne peuvent se projeter autrement que dans des rôles stéréotypés. Et lorsque les femmes ne sont pas impliquées dans les programmes scientifiques et de recherche, leurs besoins ne sont pas pris en compte.
Pour citer un exemple, lors du développement de l’intelligence artificielle, les données utilisées sont marquées par des biais sexistes. Le Conseil de l’Europe, se fondant sur différents travaux de recherche, attire l’attention sur le fait que « l’intelligence artificielle peut reproduire les préjugés humains et les perpétuer, ce qui accentue la stigmatisation et la marginalisation des femmes à l'échelle mondiale »[3].
Ensuite, à propos de l’éducation à l’égalité, fondamentale pour l’évolution de nos sociétés, j’aimerais évoquer une récente polémique qui a fait la une des journaux en Belgique.
En septembre 2023, le parlement de Wallonie-Bruxelles a voté un décret rendant obligatoire une animation de 2 heures relative à l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle pour les élèves âgés de 12 et 16 ans au sein des établissements francophones belges. De virulents débats ont pris de l’ampleur à la suite d’une campagne de désinformation intense sur les réseaux sociaux et de rumeurs infondées et accusations de perversion à l’école. Des manifestations ont eu lieu à Bruxelles pour s’opposer à cette nouvelle disposition du programme et des établissements scolaires ont été incendiés. Les autorités et les médias ont redoublé d’efforts pour rétablir la vérité et préciser que cette animation aborde entre autres la vie de famille, l’estime de soi et la notion de consentement, la gestion des émotions. Force est de constater que le sujet de la lutte contre les stéréotypes et les préjugés sexistes à l’école est encore extrêmement polémique aujourd’hui, c’est la raison pour laquelle il importe de poursuivre dans la voie tracée et de continuer à œuvrer pour éveiller les consciences.
Ces quelques exemples de mesures concrètes (les centres de prise en charge des violences sexuelles, la modification du Code pénal, la loi sur les féminicides, les relevés statistiques réguliers, le décret sur les animations scolaires sur la vie affective, …) font partie de l’arsenal législatif et réglementaire récent en matière de droits des femmes en Belgique.
Et chez vous, comment cela se passe-t-il ? Je suis vivement intéressée d’en apprendre plus sur vos expériences nationales et les solutions adoptées dans le pays que vous représentez.
Je ne peux terminer mon intervention sans une pensée pour les femmes qui vivent actuellement dans des zones de conflit, que ce soit au Yémen, en Ukraine, au Congo ou dans la bande de Gaza.
Lors des conflits armés, les discriminations préexistantes à l’égard des femmes sont exacerbées et la violence à leur égard est aggravée. Bien qu’étant touchées plus particulièrement par les conflits, les femmes sont souvent exclues des négociations des processus de paix et des travaux de reconstruction après-guerre.
Les recherches soulignent qu’en raison du manque de représentation, les intérêts et les besoins des femmes sont peu pris en compte durant les négociations des processus de paix. Ceci est d’autant plus regrettable lorsque des études démontrent que l’inclusion des femmes dans les processus de la paix aboutit souvent à une paix plus durable.
Je suis convaincue que la représentation des femmes aux différents niveaux de prise de décision constitue une garantie de la défense de leurs intérêts et leurs droits. Je ne peux que nous encourager, chacune à notre échelle, à continuer à une meilleure prise en charge des intérêts des femmes, en tout temps et tout lieu.
Et comme le disait Gisèle Halimi : « Ne vous résignez jamais ». Les rêves d’aujourd’hui seront les réalités de demain !
Je vous remercie pour votre attention.
Eliane TILLIEUX
[1] L'article 25 précise que chaque partie doit prendre les mesures législatives nécessaires pour « permettre la mise en place de centres d’aide d’urgence pour les victimes de viols et de violences sexuelles, appropriés, facilement accessibles et en nombre suffisant, afin de leur dispenser un examen médical et médico-légal, un soutien lié au traumatisme et des conseils ».
[2]https://www.lesoir.be/486720/article/2023-01-04/reussite-scolaire-pourquoi-les-filles-sont-plus-performantes-que-les-garcons
[3] https://www.coe.int/fr/web/genderequality/-/webinaire-%C2%AB-l-ia-et-le-genre-pr%C3%A9venir-les-biais-promouvoir-l-%C3%A9galit%C3%A9-%C2%BB
Intervention de la Présidente de la Chambre, Eliane Tillieux
Sommet des femmes présidentes
Assemblée nationale, Paris
7 mars 2024
Table ronde consacrée à l’égalité et la parité en politique, ainsi qu’à l’affirmation des rôles modèles féminins
Mesdames les Présidentes,
Chères collègues,
Chère Présidente, Madame Braun-Pivet,
Nos Parlements, lieux de débats et de décision, doivent être le reflet de notre société où se côtoient de manière équilibrée nos concitoyennes et concitoyens. Il importe de favoriser une meilleure représentativité des femmes et des hommes au sein de nos institutions pour tendre vers une représentation plus équilibrée, gage d’un fonctionnement démocratique plus harmonieux et respectueux.
Nos Parlements se doivent d’être exemplaires en termes d’équilibre entre les femmes et les hommes au sein de leur structure, leur fonctionnement, leurs méthodes et leurs actions.
En Belgique, en collaboration avec la Présidente du Sénat, nous avons demandé à nos services de réaliser un audit, un screening transversal inédit de l’ensemble des aspects de la vie parlementaire et du fonctionnement interne de nos deux chambres législatives. La question est de savoir dans quelle mesure le Parlement est sensible à la dimension du genre dans son fonctionnement interne et politique. Cet état des lieux est nécessaire tant pour les représentantes et représentants qui les composent que pour le personnel parlementaire, à savoir les fonctionnaires et les collaboratrices et collaborateurs politiques. Sur la base des résultats de cet audit, nous avons élaboré une stratégie et des recommandations, traduites dans un « plan genre ».
L’audit a examiné tous les pans du fonctionnement de l’administration et du politique : le cadre juridique et la fonction législative, la communication interne et externe, la fonction de représentation, la gestion du personnel, le patrimoine et les infrastructures.
Nous avons également fait l’exercice de mesurer l’incidence de la représentation des femmes sur le nombre de prises de parole au sein de l’hémicycle de la Chambre. Ainsi, lors des débats en séance plénière, sur les initiatives législatives, nous sommes passés de 16% de prise de parole féminine en 1999 à 38%, en 2022. Cette évolution à la hausse de plus de 22% résulte incontestablement de l’instauration des quotas sur les listes électorales, avec une obligation de parité intégrale depuis 20 ans maintenant. Néanmoins, nous avons en outre constaté que les femmes parlementaires prennent généralement moins la parole et moins longtemps que leurs homologues masculins.
Malgré l’avancement de la représentation des femmes au Parlement fédéral belge, il reste des domaines où les femmes sont sous-représentées, notamment dans les commissions liées à l'économie et aux finances, ce qui peut entraîner des biais dans les débats.
En ce qui concerne le fonctionnement de l’administration du parlement fédéral, le constat général de cet audit est la nécessité de mettre en place une stratégie plus volontariste pour atteindre une meilleure égalité des genres.
Pour suivre cette recommandation, un plan d'action en matière d'égalité des genres a été élaboré et une personne de référence formée aux questions de genre devrait être désignée tout prochainement.
Dès à présent, la Chambre a modifié le statut du personnel pour prendre en compte la dimension de genre dans le cadre d’épreuves de promotion interne : à compétences égales, le choix s’impose du candidat dont le genre est le moins représenté dans le service.
Le règlement des missions a été revu pour y intégrer l’obligation de mixité dans les délégations parlementaires.
La prise en compte de la dimension de genre doit être un élément d’analyse dans les procédures d’adoption des textes de lois. Pour favoriser l’égalité, tous les textes de lois devront être passés à la loupe « du genre » afin d’analyser les impacts sur les différents publics et éviter les biais.
Nous sommes à une époque charnière de notre histoire. L’égalité entre les genres n’est pas seulement une question de droits, c’est une question de démocratie, de développement sociétal et de justice.
Nous toutes réunies, ici, aujourd’hui, devons travailler main dans la main et nous engager à partager les meilleures pratiques, à encourager les réformes et à renforcer la participation des femmes à tous les niveaux.
Je souhaite que naissent de nos échanges des projets novateurs et pertinents pour améliorer le parcours des femmes et construire une société plus équilibrée et respectueuse.
Merci pour votre attention.
Eliane TILLIEUX