Rassemblement politique organisé par Soralia 27 avril 2024
Mesdames et Messieurs,
Je suis profondément honorée de me tenir devant vous aujourd’hui dans le cadre de ce rassemblement politique et militant organisé par Soralia en ce samedi 27 avril. Je tiens tout d’abord à exprimer ma gratitude envers Soralia pour cette chaleureuse invitation.
Je souhaiterais, en prenant la parole aujourd’hui, revenir sur le parcours qui m’a conduite à devenir, le 13 octobre 2020, la première femme Présidente de la Chambre des représentants, succédant ainsi à une liste ininterrompue de 51 hommes depuis la création de la Belgique.
Je voudrais ensuite vous présenter de manière succincte les quelques axes les plus prégnants que j’ai voulu donner à ma présidence. Je terminerai ma prise de parole avec, comme demandé, quelques conseils pour les femmes qui souhaiteraient s’investir également en politique.
Mon parcours a débuté à Namur, où je suis née et où j’ai grandi.
Attirée par l'apprentissage des langues et la découverte d'autres cultures, je choisis de suivre des études en traduction à l'Institut Supérieur des Traducteurs et Interprètes (ISTI) à Bruxelles, aujourd'intégré à l'Université libre de Bruxelles (ULB). Quelques professeurs me marquent plus
particulièrement, comme Jacques Rifflet, journaliste et juriste. Après l'obtention de mon diplôme, je débute ma carrière en remplaçant temporairement un professeur de langues dans un institut technique et professionnel, puis je travaille dans une banque en tant que secrétaire traductrice au Comité Européen de Normalisation, et j'assure finalement une fonction au service des ressources humaines de la SWDE.
Désireuse d'approfondir mes connaissances en droit et en gestion financière et budgétaire, j'entame une année de comptabilité en cours du soir, puis une maîtrise en management public à Solvay. Entretemps, je deviens maman de deux enfants. Malgré les défis que cela implique, notamment jongler entre vie professionnelle, études et vie familiale, je réussis à décrocher ma maîtrise en management public.
Au cours de mon parcours professionnel à la SWDE, j'occupe divers postes successivement à Bruxelles, Verviers, Namur, Charleroi puis de nouveau à Verviers. J’y côtoie les autorités communales sur les questions environnementales, juridiques et budgétaires. De cette expérience
professionnelle, je garde un profond attachement aux valeurs du service public comme la protection de l’intérêt général contre les intérêts privés, le respect de normes éthiques, l’accessibilité, l’équité et la transparence.
À cette époque, je souhaite déjà voir plus de femmes sur les listes électorales. C'est ainsi que je fais le pas moi-même : je décide de m'engager en politique ! Après avoir été élue au conseil provincial, je suis élue au conseil communal de Namur en 2006, puis désignée cheffe de groupe de mon parti dans la capitale wallonne.
Mon engagement politique srintensifie au fil des années.
Candidate aux élections fédérales d’abord et ensuite aux élections régionales, je suis élue parlementaire wallonne en juin 2004. Réélue en 2009 avec le meilleur score féminin de mon parti, j’entre au gouvernement wallon comme Ministre de la Santé, de l’Action sociale et de l’Egalité des chances. De cette formidable expérience, je veux garder une trace en publiant un livre, intitulé «Saisir sa chance », qui compile une série de témoignages et de dialogues avec des interlocuteurs remarquables impliqués dans ces compétences.
En 2014, je deviens Ministre wallonne de l’Emploi et de la Formation. Je fais aboutir une réforme inédite des aides à l’emploi, plus simple et plus efficace, et fais de la revalorisation de la formation en alternance une priorité, une réelle filière porteuse d’emploi.
En 2017, je retrouve prématurément les bancs du Parlement wallon à la suite de la chute inédite du gouvernement.
Je décide en 2019 d’emmener la liste fédérale namuroise et j’entre à la Chambre des représentants.
Une autre perspective, de nouvelles matières et un lieu chargé d’Histoire. C’est à la commission de la santé que je me plais à porter les dossiers dans le contexte de la crise sanitaire liée au covid-19. Je travaille aussi sur les textes de lois comme les propositions relatives à l’euthanasie ou aux conditions de l’interruption volontaire de grossesse.
Près de 500 jours sont nécessaires pour former le gouvernement fédéral qui s’installe en octobre 2020. Je deviens alors la première femme Présidente de la Chambre des représentants. Depuis la création de la Belgique en 1830, 51 hommes se sont succédé à cette fonction, il était temps que la 52ème carte soit différente.
C'est un moment historique pour la Belgique. Je suis heureuse et fière de briser le plafond de verre et de donner l’exemple pour que d’autres femmes osent désormais prétendre aux plus hautes fonctions à responsabilité dans notre pays.
J’ai souhaité, lors de ma prise de fonction, donner des accents particuliers à ma présidence : mon combat pour lrégalité des genres, la préservation de lrenvironnement, la participation citoyenne et lrouverture vers lrEurope ont constitué le cœur de mes priorités, dans une démarche transversale de rendre la Chambre des représentants plus ouverte et accessible, plus solidaire, plus durable et plus participative.
Permettez-moi de vous présenter ces chantiers succinctement :
Concernant mon combat pour l’égalité des genres, j’ai pu le porter au sein du Parlement fédéral mais également à l’international. En effet, le chantier le plus important de ma Présidence a été sans aucun doute la volonté de faire de notre institution le Parlement le plus sensible au genre d’ici 2030, parmi les autres parlements en Europe.
En Belgique, en collaboration avec la Présidente du Sénat, nous avons réalisé avec nos administrations respectives un screening transversal inédit des aspects de la vie parlementaire et du fonctionnement interne de nos deux chambres législatives sous l’angle du genre. Les résultats
de ce screening témoignent de la nécessité de mettre en place une dynamique plus volontariste pour atteindre une meilleure égalité des genres. Sur la base de ce constat, nous avons élaboré une stratégie ainsi qu des recommandations concrètes. Elles ont été formalisées dans un « plan genre », et seront, très prochainement, mises en œuvre par une personne de référence spécifiquement formée aux questions de genre.
En outre, la Chambre a, dès à présent, amendé le statut du personnel pour intégrer la dimension de genre dans le cadre des épreuves de promotion interne : à compétences égales, la priorité est accordée au candidat dont le genre est le moins représenté dans le service. En ce qui concerne les missions parlementaires, le règlement a également été révisé pour y intégrer une obligation de mixité au sein des délégations.
Ma volonté est maintenant de développer une vision stratégique et un plan d’action de « gender mainstreaming » au sein de la Chambre.
Au niveau européen, j’ai également porté ce dossier dans les plus hautes instances.
L’égalité entre les femmes et les hommes est non seulement un droit fondamental mais est également essentiel pour une démocratie robuste, la justice sociale, et une gouvernance efficace.
Profitant de la présidence belge du Conseil de l’Union européenne début 2024, j’ai placé cette question au cœur de lragenda de la 71e session plénière de la Conférence des Organes Spécialisés dans les Affaires Communautaires (COSAC) qui s’est tenue du 24 au 26 mars 2024 à Bruxelles. Une Déclaration pour des Parlements plus sensibles au genre a ainsi été élaborée à mon initiative dans le cadre de la présidence belge de l’Union européenne, soulignant lrimportance de l'égalité des genres dans les parlements nationaux et européen et saluant les initiatives prises par la présidence du Conseil de l'Union européenne en matière d'égalité de genre.
Cette déclaration met l'accent sur l'importance de la représentation équilibrée dans les organes de décision et recommande la publication annuelle d'un rapport sur la dimension du genre. Elle appelle également à des actions concrètes pour démanteler les stéréotypes de genre en politique et promouvoir l'égalité des genres de manière active à travers toutes les sphères de la vie politique.
Lors de la Conférence des Président·es des Parlements de l’Union européenne (CPUE), qui s’est déroulée du 21 au 23 avril 2024 à Palma de Mallorca, cette déclaration a été au centre des discussions. Un sommet spécial, le « Sommet des femmes présidentes des parlements », a été
organisé, durant lequel les participants ont réaffirmé leur engagement envers la «Déclaration commune pour des Parlements plus sensibles au genre », après un échange éclairant avec Mireia Badía, PDG et fondatrice de StockCrowd IN ; Victoria Luengo, actrice qui a remporté le Prix Fondation Princesse de Gérone 2024 ; et Sara García Alonso, scientifique et astronaute. Les conclusions de ce sommet, incluant la Déclaration, ont été adoptées le 23 avril. Je me réjouis de l’adoption de cette déclaration commune. Celle-ci représente une avancée
significative et constitue un jalon important dans la longue lutte pour l'égalité des genres, un combat auquel j’ai consacré une part substantielle de mon mandat.
Concernant la préservation de l’environnement, j’ai souhaité impulser une nouvelle dynamique à la Chambre afin qu’elle soit en phase avec les objectifs climatiques de notre pays et de l'Union européenne, et ce à travers près de 90 mesures. Pour lutter contre les changements climatiques, nous avons en effet toutes et tous un rôle essentiel à jouer.
Le rôle de Présidente, c’est aussi assurer la gestion quotidienne de près de 100.000 m² de bâtiments où travaillent plus de 1.000 personnes. Avec mes collègues, la durabilité est l’un des premiers dossiers sur lequel nous avons travaillé en permettant au groupe de travail mis en place
sur ce thème d’aboutir à un plan d’action inédit à la Chambre. Le plan a été adopté le 31 mars 2021. Il a une portée pluriannuelle et s’est traduit budgétairement par la création du fonds « Durabilité ».
Nous avons travaillé dans ce cadre sur la diminution drastique de la consommation de papier, la promotion de la mobilité douce, le développement d’espaces verts, la rationalisation de l’utilisation de l’eau, la mise en lumière des circuits courts et Fairtrade, le développement
d’économies d’énergie et des ressources, la collecte séparée des déchets, etc.
Concernant la participation citoyenne, dès ma désignation, j’ai souhaité que la Chambre évolue et se modernise pour être une véritable Maison de la démocratie participative. Elle doit suivre l’évolution des pratiques démocratiques et répondre aux attentes des citoyennes et citoyens.
Dans ce cadre, nous avons mis sur pied différentes initiatives, telles que par exemple :
● La journée portes ouvertes tous les 21 juillet ;
● Des visites guidées ouvertes aux écoles, associations, groupes, …
● L’accueil d’une association représentative lors de la journée internationale du vivre ensemble en paix, tous les 16 mai ;
● La participation à la journée internationale contre l’homophobie et la transphobie, tous les 17 mai ;
● L’accueil des étudiantes et étudiants primés dans le cadre des Hera Awards for Future Generations ;
● L’accueil de la RTBF pour la réalisation d’un podcast consacré à la place des femmes dans l’histoire de l’art ;
● L’interprétation des questions d’actualité en séance plénière en langues des signes, à la fois en néerlandais et en français ;
● La modernisation du droit de pétition à travers la plateforme « MyOpinion » ;
● Parmi d’autres.
Concernant l’ouverture vers l’Europe, je me suis efforcée, depuis ma désignation, de poursuivre la longue tradition diplomatique de notre pays. La Belgique est l’un des premiers pays à avoir signé la Charte des Nations unies. La diplomatie joue un rôle important dans la diffusion des valeurs démocratiques qui sont les nôtres et les rencontres de haut niveau représentent une réelle opportunité de les défendre.
Ainsi, dans ce cadre, j’ai eu l’honneur d’effectuer plus de 130 rencontres diplomatiques, que ce soit avec des ambassadeurs ou ambassadrices, des cheffes ou chefs d’Etat, des Présidentes ou présidents d’assemblée ou des membres de gouvernement étranger.
Le but de ces rencontres est de positionner la Belgique à la fois comme un partenaire économique fiable – puisque nous abordons toujours les échanges commerciaux respectifs – et comme un vecteur de l’émancipation des peuples, et plus particulièrement des femmes.
A cet égard, quelques rencontres furent plus mémorables, par exemple lorsque le Président ukrainien Volodymyr Zelensky s'est adressé par visioconférence aux députés et sénateurs dans l'hémicycle de la Chambre des représentants le 31 mars 2022.
J’ai eu aussi l’honneur de participer à des réseaux très riches en rencontres, comme celui des Présidentes d’assemblée, qui s’est réuni à plusieurs occasions lors de ces 4 années, et qui cherche à offrir aux femmes dans les postes décisionnels les plus élevés du parlement une occasion et un forum réguliers pour échanger idées et expériences en rapport avec leurs programmes nationaux et internationaux.
Pour conclure ma prise de parole, je me dois tout d’abord de vous dire que, en tant que femme en politique, j'ai été confrontée à de nombreux défis, mais que j'ai également été témoin de progrès significatifs, comme ceux que j’ai pu vous partager ci-avant.
Ensuite, je tiens à souligner l'importance de la détermination, de la volonté : en politique, comme dans tous les domaines, il est essentiel de persévérer face aux obstacles et de ne jamais abandonner ses convictions. Les femmes ont un rôle crucial à jouer dans la construction d'une société plus juste et plus égalitaire, et nous devons nous appuyer sur notre force intérieure pour surmonter les défis qui se dressent sur notre chemin. Ne rien lâcher, tel est mon leitmotiv.
Par ailleurs, je voudrais encourager toutes les femmes qui envisagent de s'engager en politique à croire en elles-mêmes et en leur capacité à faire une différence : nous avons toutes des voix uniques à faire entendre, et notre participation est essentielle pour garantir que les intérêts des
femmes soient représentés au sein de nos institutions démocratiques.
Enfin, je souhaite rappeler l'importance de la solidarité, entre femmes mais pas seulement. En travaillant ensemble, en nous soutenant mutuellement et en partageant nos expériences, nous pouvons renforcer notre influence et notre impact dans le domaine politique. Prenez le temps d’échanger avec d'autres femmes engagées en politique, mais aussi avec des hommes qui soutiennent activement l'égalité des genres. Ensemble, vous pourrez vous soutenir mutuellement, partager des idées et des ressources, et renforcer votre impact collectif.
Mesdames, Messieurs, à ce jour, dans les dernières semaines de mon mandat de Présidente de la Chambre, je reste optimiste quant à l'avenir de la politique belge et de la participation des femmes à notre société. Je suis convaincue que, grâce à notre engagement collectif et à notre
détermination, nous pouvons continuer à progresser vers une société plus inclusive, équitable et démocratique pour tous.
Je vous remercie.
Eliane TILLIEUX