Prises de parole au 14e Sommet des présidentes de parlement 8 et 9 septembre 2022
A l'occasion du 14e Sommet des présidentes de parlement qui s'est tenu à Tachkent, à l’initiative du Sénat de l’Ouzbékistan et de l’Union interparlementaire (UIP), j'ai eu l'occasion de prononcer plusieurs discours.
L'un était consacré à la maîtrise des risques liés à la reprise post-pandémie. L'autre présentait le plan d'actions concrètes pour le gender mainstreaming qui est en cours d'élaboration au Parlement belge.
Vous trouverez mes prises de parole ci-dessous :
Faire face aux risques liés à la reprise mondiale post-pandémie
Madame la Présidente, Chers Collègues,
Nous vivons un moment décisif. Depuis plusieurs années maintenant, nous sommes confrontés à différentes crises qui se chevauchent et dont les conséquences combinées sont graves pour la communauté internationale.
En premier lieu, la pandémie de COVID-19. L’impact du virus sur les populations du monde entier a été dramatique. Au 1 er septembre 2022, la COVID-19 a infecté plus de 603 millions de personnes dans le monde et près de 6,5 millions de décès peuvent être directement attribués à la COVID-19 (1). La propagation du virus avec l’émergence régulière de nouveaux variants continue toujours de faire des victimes. Aussi, il importe de poursuivre nos efforts en vue d’augmenter la couverture vaccinale COVID-19 dans le monde et renforcer la résilience des populations face à la crise sanitaire. La Chambre des représentants de Belgique a à cet égard adopté en septembre 2019 une résolution visant à faire du vaccin contre la COVID-19 un bien de santé publique mondial accessible financièrement à tous (2) et en mars 2022, une résolution ayant pour but de soutenir un mécanisme multilatéral de renforcement et de financement d’une protection sociale universelle, tel que l’“Accélérateur mondial pour l’emploi et la protection sociale” des Nations Unies (3) (le 10 mars 2022).
En second lieu, la guerre en Ukraine qui représente la plus grave crise de sécurité en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Car si de nombreux conflits armés existent à travers le monde, la récente guerre en Ukraine a provoqué une onde de choc dans le monde entier. Aujourd’hui, même le risque d’une catastrophe nucléaire ne peut être exclu.
Nos pensées vont bien sûr tout d’abord aux victimes et à leurs familles ainsi qu’aux millions de réfugiés qui ont dû fuir l’Ukraine. Mais il s’avère que la guerre en Ukraine a eu très rapidement des conséquences économiques dans le monde entier (augmentation du prix de l’énergie et des denrées alimentaires). Enfin, l’inflation revient au centre des préoccupations de nombreux pays à travers le monde puisqu’elle pourrait provoquer une généralisation de l’insécurité alimentaire et des troubles sociaux, et aggraver les inégalités
sociales.
Toutes ces crises représentent autant de freins pour la reprise économique mondiale post-COVID-19. Et pourtant nous avons l’obligation –pour reprendre l’expression consacrée- de « reconstruire en mieux ». La pandémie a mis en évidence plusieurs vulnérabilités majeures de nos sociétés et de nos modèles économiques et de développement. Il importe d’éviter les erreurs du passé. Il s’agira maintenant d’induire des changements systémiques, en matière d’investissements mais aussi de comportements, pour accroître la résilience de nos sociétés aux chocs actuels et futurs. Aussi, la reprise post COVID 19 devra être forte 4 , inclusive 5 , verte et résiliente 6 , en prenant systématiquement en compte les inégalités entre les sexes.
Je ne peux ici aborder toutes les dimensions précitées mais permettez-moi d’insister sur la dimension Verte de la reprise. Les conclusions alarmantes du récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sur le changement climatique (7) ne laissent aucun doute sur la nécessité d’un changement radical de paradigme. Le changement climatique constitue une menace mondiale qui entraînera des conséquences bien plus graves encore que celles de la COVID-19 ou d’une guerre. Chacun d’entre nous
a pu constater cet été une hausse des phénomènes météorologiques extrêmes comme les vagues de chaleur (Europe), les sécheresses (Etats-Unis) et les inondations (Pakistan). Alors que la communauté internationale concentre ses efforts pour continuer d’endiguer la pandémie et œuvrer à mettre fin à la guerre en Ukraine, la lutte contre le changement climatique doit intégrer l’ensemble des politiques de manière prioritaire... Nos pays devront profiter de la reprise pour évoluer vers une économie plus verte et tendre vers les objectifs climatiques de l'Accord de Paris et de l'Agenda 2030.
A cet égard, je rappelle que l’Union européenne s’est dotée d’un important Plan de Relance et de Résilience. Dans le cadre de ce plan européen, les États membres de l’UE ont l’opportunité de bénéficier de subsides européens, d’une part, et d’obtenir des prêts à taux avantageux, de l’autre. Ces aides seront accordées en vue de la reconstruction d’une Europe plus verte, plus numérique et plus résiliente. A cette fin, mon pays, la Belgique, a remis fin avril 2021 à la Commission européenne son Plan national pour la reprise et la résilience pour accélérer la transition de la Belgique vers une croissance plus durable, résiliente et inclusive. Ce sont près de 5,9 milliards EUR qui devraient être injectés, sous la forme de subsides européens, dans l’économie belge. La transition vers une économie décarbonée, durable et résiliente face aux changements climatiques sera au cœur de ce Plan puisque près de la moitié des dépenses du Plan contribueront à cet objectif. Les parlements doivent eux-mêmes contribuer à une reprise économique verte et durable.
Chers Collègues,
Nous devons également prendre nos responsabilités et devenir des acteurs clés de ce changement. Non seulement il importe que nous nous assurions que les mesures et les priorités budgétaires de nos gouvernements respectifs soient en phase avec les objectifs de cette relance verte et durable, mais nous devons également veiller à ce que l’arsenal juridique que nos parlements adopteront veille à minimiser les impacts sur le changement climatique et à réduire les inégalités socioéconomiques. Nous pouvons influencer la prise de décision en faveur de mesures vertes et durables lors des débats parlementaires.
Nos institutions démocratiques ont également un rôle d’exemplarité à jouer, y compris dans leur fonctionnement quotidien. Il est dès lors crucial que nous agissions à notre niveau. J’ai ainsi au cours de mon mandat à la présidence mis l’accent sur l’importance d’une Chambre des représentants plus durable et fait adopter le 31 mars 2021 un plan d’action « durabilité ». Des investissements pour économiser l’énergie tels que l’isolation de la toiture et la pose de panneaux photovoltaïques au recyclage du papier, à la verdurisation des espaces (8), à la promotion de la mobilité douce et des circuits courts et, bien entendu, aux actions visant à réduire notre consommation, ce plan comporte pas moins de 87 mesures concrètes qui devront permettre à la Chambre des représentants d’être en phase avec les objectifs climatiques de la Belgique.
Chers Collègues,
Il est temps pour moi de conclure.
« Le monde de demain », c’est déjà aujourd’hui. Les multiples crises que j’ai citées sont autant de rappels à notre obligation collective d’agir et de coopérer ensemble. C’est notre seul espoir de créer un avenir plus juste et plus résilient.
Je vous remercie.
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1 Université de médecine John Hopkins https://coronavirus.jhu.edu/map.html
2 https://www.dekamer.be/FLWB/PDF/55/1815/55K1815006.pdf
3 https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/55/1705/55K1705005.pdf
4 La dimension Forte consiste à évaluer l'impact général de la pandémie sur la prospérité des ménages et des entreprises, et à surveiller les signes immédiats de la reprise de l'activité économique.
5 La dimension Inclusive consiste à comprendre l'impact de la pandémie sur les personnes et à déterminer si les pays s'orientent vers une trajectoire de croissance plus inclusive.
6 La dimension Résiliente examine certains des facteurs qui favorisent la préparation des économies et des sociétés aux chocs futurs.
7 https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-working-group-ii/
8 La Chambre a également adopté une résolution concernant la végétalisation des bâtiments du parc immobilier fédéral.
Des parlements sensibles au genre afin de garantir la pérennité et la prospérité
Motion 4 : Les présidentes ont le pouvoir de rendre le parlement plus accueillant et plus valorisant pour les femmes
Mesdames les Présidentes, Chères/Chers Collègues, Mesdames, Messieurs,
C’est un immense plaisir pour moi de prendre la parole à l’occasion de ce 14e Sommet des présidentes de parlements sur un sujet aussi important que la sensibilité au genre au sein de nos parlements et plus particulièrement la place des femmes en leur sein. Comme première femme à accéder à cette fonction depuis la création de la Belgique, il y a bientôt 200 ans, vous comprendrez que l'égalité entre les femmes et les hommes constitue depuis ma désignation en octobre 2020 une des lignes de force de ma présidence à la Chambre des représentants de Belgique.
Lors de notre sommet précédent à Vienne, j’avais souligné la nécessité d’une volonté politique forte pour atteindre la parité d’ici 2030. En effet, malgré le chemin parcouru, les femmes rencontrent toujours plus d’obstacles et doivent sans cesse exposer leurs qualités et compétences professionnelles pour accéder au même poste que les hommes. L’intérêt de la diversité de genre n’est clairement plus à démontrer et pourtant ce plafond de verre est toujours bien présent.
La volonté de changement constitue dès lors une condition sine qua non de toute évolution sociétale et institutionnelle et doit se concrétiser à travers des actions symboliques et concrètes tant dans la vie quotidienne que dans nos Parlements. Nous devons prendre nos responsabilités et devenir des acteurs et actrices clés de ce changement à l’intérieur même de nos institutions parlementaires. Il est crucial que les parlements et les parlementaires intègrent la question du genre dans leur mode de fonctionnement et
modifient le cas échéant leurs structures, leur règlement et leurs actes pour tendre concrètement vers la parité.
Le 8 mars 2021, à l’occasion de la journée mondiale des droits des femmes, j’avais organisé avec ma collègue Présidente du Sénat un webinaire consacré à la place des femmes dans un parlement au 21 e siècle. Nous avons entrepris ensuite un travail d’analyse sur la situation de la dimension du genre au sein de la Chambre des représentants.
Au début du mois de mars 2022, ce groupe de travail a remis son rapport, non sans avoir bénéficié des conseils avisés de nos collègues de l’Union interparlementaire spécialisés dans les matières de genre, que je tiens à remercier chaleureusement au passage. Ce rapport présente une situation qui ne peut être qualifiée de mauvaise, mais des efforts et actions sont nécessaires. Suite à ce rapport, des mesures concrètes seront mises en place pour évoluer vers une Chambre des représentants – et de manière plus large
un Parlement – plus sensible au genre d’ici 2030.
Par exemple, chacune de nos commissions parlementaires est composée de 17 membres. La commission de la Défense ne compte que 4 femmes, celle de l’Intérieur 5, et celle des Finances seulement 2. Inversement, davantage de femmes siègent dans les commissions des Affaires sociales et de la Santé, au sein du Comité d’avis pour l’Émancipation sociale ou au Sénat, dans la Commission affaires institutionnelles ou la commission pour le renouveau démocratique. Les missions à l’étranger sont encore majoritairement composées de nos collègues masculins ! Des mesures pour imposer une meilleure répartition des genres dans les compétences sont envisagées.
Nous le voyons, le chantier en matière d’égalité à la Chambre des représentants, doit permettre d’arriver à une véritable parité effective dans la vie et le fonctionnement de notre institution, et ce pour l’ensemble des fonctions.
Chères collègues,
En tant que femmes présidentes de parlement, il est indispensable de faire figure d’exemple pour montrer la voie aux générations futures. Nous devons surtout aussi éviter toute marche arrière. Car rien n’est jamais acquis comme nous l’a montré l’actualité récente et la décision de la cour suprême des États-Unis sur l’interruption volontaire de la grossesse.
Les Parlements sont le reflet de nos sociétés, ils sont le lieu où les enjeux de notre société sont débattus, où les problématiques de nos citoyens se posent et où des solutions sont soumises au vote et adoptées par une majorité de leurs représentants.
Pour toutes ces raisons, il est fondamental que nos Parlements soient davantage attentif aux besoins des hommes comme des femmes qui le composent dans sa structure, son fonctionnement, sa méthode et son action. Nous sommes toutes et tous concernés pour que l’égalité ne soit pas juste un slogan mais bien une réalité.
Ainsi, une Charte d’engagement en faveur de l’égalité des genres est phase de finalisation. Je souhaite la soumettre à la signature de ma collègue Présidente
du Sénat et de moi-même, mais également des fonctionnaires généraux de nos assemblées en leur qualité de garants du fonctionnement de l’administration de nos parlements, l’objectif étant que le Parlement fédéral belge dans son entièreté soit plus sensible au genre. Elle traduira la volonté d’exemplarité de l’ensemble de l’administration et déclinera une résolution commune à mettre en œuvre pour renforcer l’égalité de genre.
Ensuite, un plan d’action pluriannuel en matière de gender mainstreaming basé sur les recommandations du groupe de travail (et allant même encore plus loin notamment en matière de gender budgeting) est en cours d’élaboration. Les principaux objectifs seront les suivants :
- La récolte systématique de données genrées ;
- La création d’un organe spécifique dédié au genre au sein des services avec une personne de référence qui sera formée et formera à la sensibilisation au genre ;
- Une gestion genrée du personnel de la Chambre, tant en termes de recrutement, bien-être au travail, salaire, perspectives, … ;
- Un budget sensible au genre ;
- Un parlement plus sensible au genre dans sa communication interne et externe par notamment la rédaction de directives uniformisées adaptées à chaque langue, l’introduction d’une écriture plus inclusive, la répartition des hommes et des femmes dans la sélections d’orateurs invités, … ;
- Une vie politique, un cadre juridique et législatif plus sensible au genre, notamment par l’intégration du genre dans les procédures d’adoption de loi, … ;
- Une infrastructure plus sensible au genre.
L’ambition est forte, la stratégie est volontariste. D’ici la fin de l’année 2022, un travail considérable doit être réalisé en termes de communication pour susciter l’adhésion à ces nouvelles mesures et à ce changement d’état d’esprit. Parallèlement, bon nombre d’actions auront pu être lancées pour entrer avec détermination dans la voie d’un des Parlements les plus sensibles au genre.
Merci.