Intervention de Mme la Présidente Eliane Tillieux à la Conférence européenne des Présidentes et Présidents de Parlement : Les démocraties face à la crise de santé publique de la covid-19 : partage d’expériences, la voie à suivre
Adaptation des règles de fonctionnement et rôle du Parlement lors de la pandémie
Mesdames et Messieurs, Chères/Chers collègues,
Depuis un an et demi déjà, le monde est durement touché par la pandémie de COVID-19.
Cette crise sanitaire sans précédent constitue un véritable défi pour les démocraties à travers le monde. Les assemblées parlementaires ont dû faire preuve de créativité et de souplesse afin de pouvoir continuer à exercer pleinement leur rôle constitutionnel.
L’assemblée que je préside, comme bon nombre d’autres parlements et institutions, a ainsi été amenée à profondément modifier son mode de fonctionnement et à adapter ses règles internes, en mettant en place des systèmes de votes à distance, de réunions par vidéoconférence, en adaptant ses locaux afin de permettre de se réunir dans le respect des gestes barrières.
Cette flexibilité et cette capacité à s’adapter lui ont permis de continuer à jouer son rôle, fondamental. En effet, cette crise a aussi été une opportunité pour les parlements d’affirmer plus que jamais leur rôle de « garant de la démocratie ». Car il est de notre devoir de veiller à préserver les acquis démocratiques, les droits fondamentaux et les principes de non-discrimination, y compris en temps de crise.
Lorsque la pandémie a éclaté en Europe à la mi-mars 2020, une majorité parlementaire a pu se dégager pour faire du gouvernement belge – qui était alors un gouvernement démissionnaire - un gouvernement de plein exercice, capable de prendre les décisions nécessaires afin de lutter contre le virus. Dans la foulée, notre Parlement a décidé d’octroyer des pouvoirs spéciaux au gouvernement via l’adoption de deux lois d’habilitation, par lesquelles le législateur fédéral autorisait temporairement (pendant une période de 3 mois renouvelable) le gouvernement fédéral à gérer différents aspects de la crise sanitaire par le biais d’arrêtés, sans l’adoption formelle d’une loi mais avec des conditions très strictes en termes de durée et de finalités de ces mesures notamment. Cela permettait au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour faire face à cette crise exceptionnelle, avec le maximum d’efficacité, de souplesse et de rapidité.
Si le Parlement a « délégué » temporairement une partie de ses attributions à l’exécutif, il a, paradoxalement, été plus actif que jamais depuis le début de cette crise sanitaire. Notre assemblée a ainsi redoublé d’efforts pour continuer à contrôler et superviser l’action de l’exécutif, notamment en le questionnant et en l’interpellant, de manière extrêmement active, sur les différents aspects de la gestion de la crise. (NB : près de 12500 questions orales et 158 interpellations répondues depuis mars 2020[1]).
En outre, depuis le début de la pandémie, la Chambre des représentants a adopté un grand nombre de textes législatifs, principalement pour soutenir les citoyens et les secteurs sociaux, des soins de santé, les secteurs culturels et économiques, qui furent fortement touchés par les conséquences de la crise sanitaire. (NB : Un total de 291 textes adoptés – lois et résolutions - depuis mars 2020)
Une attention particulière fut accordée aux groupes les plus vulnérables, par exemple via l’octroi d’une prime mensuelle temporaire aux personnes qui bénéficient d’allocations d’assistance sociale, y compris les personnes âgées et celles souffrant d’un handicap et qui ne disposent pas de ressources suffisantes pour vivre[2].
Autre exemple, un sujet qui me tient particulièrement à cœur : la problématique de la violence intrafamiliale, en particulier à l’égard des femmes et des enfants. On le sait, ce fléau a tendance à croître en période de crise, y compris lors des épidémies. Les différentes périodes de confinement ont contribué à fragiliser encore plus les victimes de ce type de violences. Notre assemblée s’est donc mobilisée sur cette question et a notamment adopté une résolution[3] demandant au gouvernement de considérer cette problématique comme une priorité, dans toutes ses dimensions – violence physique, psychologique, économique et aussi en ligne –, en associant dans cette politique tous les niveaux de pouvoir et les associations de terrain.
Situations d’urgence épidémiques : adoption de la Loi pandémie [4]
Chères/Chers collègues,
Les premières leçons de cette crise sanitaire sans précédent doivent être tirées. A cet égard, la Chambre des représentants de Belgique a pris différentes initiatives, en vue de renforcer l’arsenal législatif visant de telles situations d’urgence épidémiques ; mais aussi plus généralement en vue d’évaluer la manière dont cette pandémie de Covid-19 fut gérée par les autorités.
Pour stopper la propagation du virus, une série de mesures véritablement inédites ont été prises par les autorités depuis le début de cette pandémie: je pense notamment à l’interdiction de certains voyages et déplacements, mais aussi aux mesures de couvre-feu, à la fermeture de commerces dits non essentiels ou encore à la mise en place d’une « bulle » de contacts rapprochés réduite à une ou quelques personnes.
Ces mesures, bien qu’indispensables, pour la sécurité et la protection de la population, et pour éviter la saturation dans les hôpitaux, impliquent cependant d’importantes restrictions à certaines libertés et droits fondamentaux, garantis, entre autres, par la Constitution et par la Convention européenne des droits de l’homme.
Comme l’a réaffirmé l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ces restrictions doivent donc toujours être prévues par la loi, elles doivent être nécessaires, proportionnées à l’intérêt général poursuivi et non discriminatoires [5]. Jamais, un état d’urgence ne peut servir de prétexte à des reculs de nos acquis en matière de droits et libertés. C’est le rôle des parlementaires d’y être particulièrement attentifs.
Au fil des mois et de la mise en place de ces restrictions, il est donc apparu de plus en plus essentiel pour notre assemblée d’inscrire ces mesures dans un cadre légal clair et unique, avec toute la sécurité juridique et la légitimité démocratique qui s’imposent.
C’est la raison pour laquelle le gouvernement fédéral belge a préparé en février 2021 un « avant-projet de loi relatif aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique ». Fait inédit, il a invité la Chambre des représentants à discuter de cet avant-projet de loi avant qu’un projet définitif ne soit déposé. La commission de l’Intérieur de la Chambre, à laquelle cet avant-projet de loi a été renvoyé, a décidé de le soumettre à une consultation la plus large possible et dès lors d’organiser des auditions et de recueillir des avis écrits de constitutionnalistes, d’experts de terrain ou de représentants de la société civile. Ces échanges au Parlement ont donc permis de nourrir l’élaboration du projet de loi définitif déposé par le gouvernement.
Ce débat a abouti, en juillet dernier, à l’adoption d’un tel cadre légal, spécifique aux situations d’urgence épidémiques, pouvant s’appliquer à la pandémie actuelle, mais aussi à de futures situations épidémiques.
Cette loi définit précisément les conditions d’une « situation d’urgence épidémique », qui aura une durée déterminée [6], et permettra à l’exécutif de prendre de telles mesures restrictives. Cependant, le rôle de « garde-fou » du Parlement est essentiel dans une telle situation: celui-ci devra non seulement confirmer par une loi cette situation d’urgence, mais, en outre, un système de monitoring régulier devant l’assemblée et une évaluation à la fin de chaque situation d’urgence épidémique seront mis en place.
Commission spéciale chargée d’examiner la gestion de l’épidémie de Covid-19 par la Belgique
Mesdames et Messieurs, Chères/ Chers collègues,
Comme je l’ai dit, une évaluation de la manière dont cette crise fut gérée, à travers ses différents aspects, était indispensable. Dès juillet 2020, à l’issue de la première vague de la pandémie, la Chambre des représentants a donc mis sur pied une commission spéciale afin d’analyser et d’évaluer la gestion de la crise sanitaire. Cette commission a été assistée d’une équipe d’experts indépendants, composée de médecins, d’un professeur en santé publique et d’un spécialiste de la gestion de crise.
Après un an de travaux, et de très nombreuses auditions d’acteurs de terrain, d’experts, et de responsables politiques, elle a abouti à une série de recommandations.
J’en aborderai ici quelques-unes, qui me paraissent essentielles.
Un système de santé plus robuste
Premièrement, la commission recommande que notre système de santé devienne plus robuste. Epuisement du personnel de santé, report des soins, manque cruel de matériel… le secteur des soins a été mis à rude épreuve durant toute la pandémie. Il faut investir dans une politique de prévention et de promotion de la santé ambitieuse, et ce, en amont de toute crise. Cela permettra d’améliorer l’état général et la résistance de la population, en particulier des groupes vulnérables. Les publics fragilisés ont souvent été plus durement touchés par le virus, ce qui démontre le besoin d’œuvrer en faveur de la réduction de la fracture sanitaire.
Nous devons aussi veiller à revaloriser et à améliorer les conditions de travail du personnel soignant, eux qui sont en première ligne depuis le début de la crise.
Une attention particulière doit être accordée au financement et à l’organisation des hôpitaux, mais aussi aux maisons de repos et de soin, notamment en matière de prévention des maladies et de disponibilité d’équipements de protection individuelle.
Un autre élément souligné par ces recommandations a souvent été oublié au cours de ces derniers mois. Je veux parler des répercussions de la pandémie sur le bien-être mental et psychosocial de la population, tout particulièrement des enfants et des jeunes. Cet aspect doit être mieux intégré dans l’ensemble des politiques de santé publique.
Un plan pandémie
La commission a aussi insisté sur l’importance de la mise en place à court terme (pour la fin de l’année 2022) d’un « plan national d’urgence pour les pandémies ». Un tel plan doit être régulièrement mis à jour et soumis à des exercices de mise en pratique.
Un plan pandémie doit permettre de prévoir des lignes directrices, notamment concernant des questions telles que :
- la définition du cadre de prévention et de promotion de la santé ;
- le suivi épidémiologique et la stratégie « tester-tracer-isoler » ;
- les stocks stratégiques de matériel de protection et de soins et de médicaments ;
- l’organisation des organes d’avis et de décisions ;
- la stratégie de communication de crise ;
- la liste des secteurs et entreprises essentiels.
L’élaboration d’un tel plan sera concerté entre les différents niveaux de pouvoirs et avec les acteurs de la santé présents sur le terrain, et veillera à tendre vers des structures claires et simplifiées.
Une dimension européenne
Je voudrais aussi revenir sur la question de la dimension européenne. On a parfois dû observer une politique du « chacun pour soi », en particulier au début de cette crise sanitaire. Notre commission spéciale préconise dès lors une politique de santé plus intégrée et plus harmonisée à l’échelle européenne, notamment en matière d’autorisations, de production et d’approvisionnement des médicaments, mais aussi de partage des données, et de promotion de la recherche et du développement dans le domaine pharmaceutique.
Chères/Chers collègues,
Voici quelques éléments que je voulais partager avec vous dans le cadre de ce débat.
Je vous remercie.
[1] Au cours de la session 2020-2021, le nombre de questions orales en commission et en séance plénière a augmenté de près de 40% et le nombre de textes (lois et résolutions) adoptés a augmenté de 16%. [2] Loi portant des mesures de soutien temporaires en raison de la pandémie du COVID-19 [3] Résolution sur la violence intrafamiliale en particulier à l’égard des femmes et des enfants, 55 1844/4 [4] Loi relative aux mesures de police administrative lors d'une situation d'urgence épidémique du 15 juillet 2021 [5] Résolution 2338 (2020) [6] De 3 mois renouvelables